Ezeckiel Caïn River

"J'aurais voulu être un gangster"

La lumière éblouit momentanément Ezeckiel, qui grogna, clignant des yeux pour essayer de s'habituer au contraste. Pendant quelques secondes, il ne sut plus vraiment où il était, jusqu'à l'instant où il sentit qu'on le soulevait de son minuscule lit pour l'asseoir sans douceur. Petit à petit, le monde autour de lui se fit plus clair, fortement aidé par la voix dure et sèche d'un homme qu'il ne semblait pas connaître. Sans doute, avant cela, était-il en train de rêver. Oui, sans doute était-il encore perdu dans un rêve avec trop de saveurs, car il n'arrivait pas à comprendre le moindre petit détail de ce qui lui arrivait actuellement. Ezeckiel River était certes un surdoué, mais lorsqu'il s'agissait de comprendre le monde, il avait un train de retard sur les autres. «  T'as merdé gamin. » C'est la seule phrase que le River arriva à comprendre, et sans doute la phrase qui le réveilla pour de bon. Il savait tout à coup qui étaient ces hommes dans sa minuscule chambre étudiante, il savait également pourquoi ils étaient là, et pourquoi la situation semblait intéresser tous ses voisins de palier. On ne provoquait pas les autorités sans en subir les conséquences n'est-ce pas ? Pourtant, la seule réaction qu'il réussit à avoir fut un éclat de rire. Il fixa le barbu en face de lui, essayant de juger qui il était et ce qu'il pouvait bien dire pour s'en sortir avec le moins de dommages possibles. Mais soyons réalistes, ce n'était pas vraiment le genre du River. «  C'est ce qu'on a dû dire à ton père le jour de ta naissance, ça, non ? » Un sourire goguenard sur les lèvres, Ezeckiel ne se démonta pas lorsqu'il vit l'agent devenir blanc comme un linge, pour ensuite passer au rouge. «  Ca suffit, je voulais être sympa, mais faut croire que t'en as pas envie. On t'emmène au poste. » Une sortie en grandes pompes de la vie étudiante. Voilà tout ce que cette intervention fut pour Ezeckiel. Il ne l'aurait avoué pour rien au monde, mais ce flic avait entièrement raison. Il avait merdé, et il en paierait le prix toute sa vie. Alors il fit ce qu'il avait toujours fait : mentir, jurer que ça ne lui faisait rien.

L'affaire datait de quelques jours. Un homme du nom de Clive Standford, ou une connerie du même genre, était venu le voir, alors qu'il était complètement défoncé. Il lui avait demandé si ce qu'on disait sur lui était vrai, s'il était vraiment le meilleur hacker de la ville. Et bien sûr qu'il l'était. Il était même plus que ça, il était scientifique, il était intelligent. Clive l'avait bien brossé dans le sens du poil puis lui avait demandé un service contre de l'argent. Ce n'était pas la première fois qu'on lui faisait le coup, il était habitué à ce genre de deal … Après tout, la bourse ne payait pas tout, il vivait moyennement dans un minuscule espace, et mangeait ce qu'il pouvait. Alors des extras comme ça, ça ne se refusait pas. La tâche était plutôt simple en vérité. Infiltrer la station pour en supprimer un casier judiciaire. Mauvais pour la loi, bon pour les affaires puisque ça rapportait à Ezeckiel le double de ce qu'il gagnait d'ordinaire. Alors il avait accepté. Et avait pêché pour excès de confiance. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Ezeckiel peut paraître froid. La vérité ? Il a seulement l'impression que le cerveau des gens qui l'entoure marche au ralenti, ce qui le rend parfois … Condescendant. Tout le temps. Et s'il a bien sous-estimé quelqu'un, c'est les agents de Washington.

«  Veuillez décliner votre identité. » « Ezeckiel Caïn River. » L'agent le fixa une seconde, comme pour voir s'il ne se moquait pas de lui. Il finit tout de même par le lui demander. «  C'est ton vrai nom ? » Ezeckiel leva un sourcil. «  Non je l'ai trouvé dans un bouquin je pensais que ça serait cool de le ressortir une fois. Bien sûr que c'est mon vrai nom. » Le jeune homme était déjà las. Il n'appréciait pas vraiment être enfermé, encore moins sans possibilité de sortie. «  Vous n'avez pas vraiment le profil du parfait petit scientifique hein. » Parfait, il lisait son dossier. Comme si on ne le lui avait jamais dit, qu'il avait plus la gueule du drogué musicien que d'un génie de la médecine. «  Comme quoi les apparences sont trompeuses. » Il ne voulait pas s'éterniser. Il voulait juste rentrer chez lui, mettre cette histoire de côté et continuer sa vie. « T'es au courant que ce que t'as fait risque de te coûter ta bourse ? Oh, en fait c'est déjà fait. » La première fissure sur son apparent jem'enfoutisme. L'agent en face de lui semblait se délecter de ce qu'il voyait, de ce qu'il provoquait. Pas Ezeckiel. «  C'est du bluff. » Mais il n'y croyait même pas lui même. Il avait merdé, c'était bien ça que lui disait le mec tout à l'heure ? Le petit orphelin qui avait toujours su se débrouiller comme il fallait venait de faire une croix sur son avenir. A la bonne heure.

Une langue sur son visage réveilla le brun en sursaut. " Scooby t'abuses laisse-moi dormir !" Mais il ne dormait pas vraiment. Les souvenirs lui revenaient petit à petit, par vagues. Ils se promenaient. Sacs sur le dos, comme les nomades qu'ils étaient plus ou moins. Ezeckiel avait été viré du labo où il travaillait comme stagiaire et envisageait de quitter Washington, Adrian voulait le suivre. Alors ils marchaient, leur chien en laisse à côté d'eux. Il se souvenait l'avoir tenu lorsqu'il avait entendu le " plop" caractéristique de la vitrine d'un magasin. Intrigués, ils s'en étaient approchés. Puis plus rien, plus aucun souvenir. Doucement, le jeune homme ouvrit les yeux. " Adrian?" Il ne savait plus où il était. Regardé par des dizaines de personnes comme s'il était un extra terrestre dans une ville aux murs jaunes. Où était-il ? Après un coup d'oeil, cela ressemblait à ce qu'il avait entendu du Mexique, mais il n'y avait jamais mis les pieds comment pouvait-il savoir s'il était au Mexique ou ailleurs ? Avait-il été drogué? Mais avant qu'il ait pu se rendre compte de la situation, quelqu'un l'attrapa brusquement par la main. Pourquoi pas après tout ? Sans un mot, il siffla son chien, et suivit la jeune fille qui l'emmenait loin des regards.